Santé

« Pour nous, les conséquences sont à vie » à cause des prothèses mammaires frauduleuses

Par Cyril Renault , le mercredi, 1 juin 2016, 9h44
prothèses mammaires

« Pour nous, les conséquences sont à vie » à cause des prothèses mammaires frauduleuses

Lors du procès, où quelque 7000 femmes s’étaient portées parties civiles, une victime déclare : « Ils ont fait de nous 7000 rats de laboratoire. »

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(Thinkstock photos)


Dans le monde, plus de 300 000 femmes ont été victimes du scandale sanitaire des prothèses PIP. Joelle Manighetti est l’une d’elles. Avec précision, cette Française dénonce pêle-mêle les lenteurs judiciaires, les manquements sanitaires, les leçons non apprises, la violence machiste, mais aussi l’atroce solitude des victimes.
Edifiant.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme la peine de 4 ans de prison ferme pour « escroquerie et tromperie aggravée  » à l’encontre de Jean-Claude Mas, le fondateur de la société PIP. Cet homme, aujourd’hui âgé de 76 ans, a produit et vendu des dizaines de milliers de prothèses mammaires au mépris de toute norme sanitaire.

Jean-Claude Mas, fondateur de la société "Poly Implant Prothèse", liquidée en 2010. 80 % de sa production de prothèses étaient expédiée hors de France, notamment en Amérique du Sud et en Europe de l'Est.<br />
Jean-Claude Mas, fondateur de la société « Poly Implant Prothèse », liquidée en 2010. 80 % de sa production de prothèses étaient expédiée hors de France, notamment en Amérique du Sud et en Europe de l’Est.
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Jusqu’au bout, le condamné a défendu son produit, un gel de silicone maison fabriqué à partir d’huile de silicone industrielle : « Escroquerie ? Au préjudice de qui ? » a-t-il protesté. Il y a eu beaucoup de tests faits, je suis un maniaque des tests ! »


Il a quitté la Cour d’appel sans passer par la case prison, son avocat ayant annoncé qu’il allait se pourvoir en cassation. Jean-Claude Mas a refusé de s’exprimer sur sa nouvelle condamnation, lâchant aux journalistes un lapidaire :  » Parlez plutôt aux victimes ! »

Ce que nous avons fait.

« J’ai mal en permanence »

7 000 femmes se sont portées partie civile.
Une victime parle d' »une bombe à retardement installée dans son corps« , une autre de « vies gâchées« , une autre encore, évoquant la société PIP et sa Direction : « ils ont fait de nous des rats de laboratoire« .


Joëlle Manighetti, elle, écrit sobrement sur son blog : « Cela ne représente qu’une très petite satisfaction au regard des préjudices que des milliers de femmes ont subi en France et dans le monde. »

Nous rencontrons Joëlle Manighetti, 60 ans, mariée, trois enfants, dans un restaurant du 17ème arrondissement de Paris. Ces phrases sur son blog ont retenu notre attention quelques jours plus tôt : « En novembre 2009, suite à un cancer, j’ai dû subir l’ablation d’un sein qui a été remplacé par une prothèse PIP. J’ai fait partie des premières femmes à porter plainte quand ce scandale sanitaire mondial a éclaté, en mars 2010. J’ai dû être réopérée plusieurs fois pour réparer les dégâts causés par la prothèse, que je n’ai portée que 6 mois. (…) La dernière intervention, datant de juin 2015, a permis un résultat esthétique à peu près satisfaisant, mais mon chirurgien m’a annoncé qu’il ne pourrait plus rien faire contre les douleurs. J’ai mal en permanence dans tout l’hémithorax gauche et quelques fois dans tout le bras. »

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« On nous accuse de porter plainte pour toucher de l’argent, mais nous ne serons  indemnisées par les organismes d’État et à la fin des procédures, qu’à hauteur de 3 000 euros maximum par victime. Et quand bien même cette somme serait multipliée par 10, elle ne réparera jamais ce qu’on a subi et ce que l’on continue à subir. Pour nous, les conséquences sont à vie »

Joëlle est précise dans les mots qu’elle choisit. Elle peut. Trente ans durant, elle a  travaillé dans le milieu médical. Elle a ouvert son blog pour venir en aide à toutes les femmes qui s’interrogent sur cette affaire, des femmes souvent désorientées par l’abondance des informations parfois contradictoires, fausses ou incomplètes.


« Je suis en colère parce que cette fraude a été possible et qu’elle a duré dix ans »
Joëlle Manighetti parle avec passion, sans jamais se laisser déborder par ses sentiments. Elle est vive, mais refuse le sensationnel, le pathétique, le sensible dont raffolent quantité de médias. Echaudée par le travail approximatif de plusieurs journalistes « en mal d’humain » et qui n’hésitent pas à cambrioler les coeurs pour faire sensation, nous lui promettons de ne garder que son témoignage, sans commentaire aucun.


Le voici.

« Je suis en colère parce que depuis six ans que cette fraude a été découverte, rien n’a changé. La condamnation de Jean Claude Mas (Directeur  de la société PIP ndlr ) n’est que le premier volet  judiciaire, celui qui reconnaît que nous avons été trompées sur la marchandise que l’on a vendue aux chirurgiens et qui nous ont implanté ces prothèses. C’est une tromperie « aggravée », ce qui signifie que le gel est potentiellement dangereux et on se rend compte que toutes les femmes ont pas mal de problèmes..  Nous allons être indemnisées par des fonds de solidarité de l’Etat. Oui, c’est l’Etat qui va payer, donc nous. Ces indemnisations sont « plafonnées » avec un maximum de 3000 euros par victime, sachant que cela représente très très peu pour les femmes qui ont payé leurs interventions et qui n’ont pas les moyens de refinancer une nouvelle intervention. De toutes les manières, cela ne nous ramènera jamais la santé que nous avons  perdue. »

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En France, sur les 30 099 implants retirés au total, 7 634 ont été classés comme « défectueux « , soit un taux de défaillance de 25,4 %. (Wikipédia)
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Le lobby des chirurgiens esthétiques

« Personnellement, j’ai été opéré huit fois pour réparer les dégâts. Tout cela, c’est la Sécurité Sociale qui l’a payé. C’est absolument anormal que la collectivité paye pour cette fraude. Et cette fraude, elle a été rendue possible parce qu’il y a plein de choses qui ne vont pas. Cette affaire a révélé beaucoup de failles.  Au niveau des certifications, au niveau des déclarations d’événements indésirables auprès des autorités sanitaires, la réactivité de ces mêmes autorités sanitaires, la réactivité des politiques, le lobby des chirurgiens esthétiques, le lobby des laboratoires qui fabriquent les prothèses.

Il faudra attendre 2010 pour que l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) tire la sonnette d’alarme sur ce qui ce révèle être un scandale sanitaire majeur
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La société PIP était au prix du marché, contrairement à ce qu’ont dit certains médias, comme les autres fabricants de prothèses. Elle a remporté l’appel d’offre pour le Centre de Lutte contre le Cancer parce que c’était les seuls à proposer des prothèses anatomiques, c’est à dire des seins droits et gauches très utiles en reconstruction.

Quand l’affaire a éclaté, les femmes qui ont fait de la chirurgie esthétique sont revenues voir leur chirurgien , elles se sont entendu dire : « cela va être très compliqué de vous réopérer parce que si jamais le silicone a coulé, ça va nous prendre du temps, c’est long et coûteux, ce n’est pas juste on enlève et on remet d’autres prothèses etc.. » Donc, il y a eu des dépassements d’honoraires très importants et le changement de prothèse a coûté plus cher que l’implantation initiale, alors que l’explantation était prise en charge par la sécurité sociale !

Les femmes qui ont eu des cancers du sein n’ont pas toutes été traitées de la même façon. Il y a eu des centres anticancers qui ne prenaient pas les femmes en charge « en interne » et demandaient des dépassements d’honoraires en les orientant vers des cliniques privées.

Il y a tellement de choses qui rentrent en ligne de compte que rien ne bouge ! Six ans après, nous en sommes au même stade. Un nouveau Mas pourrait très bien arriver dans n’importe quel marché des dispositifs médicaux et refaire la même chose. »

Des victimes insultées et salies

« Parmi les victimes, il y a très peu de femmes qui sont restées combatives. Elles sont lasses. Toutes celles qui ont fait de la chirurgie esthétique ont été montrées du doigt, stigmatisées, insultées, salies. On disait que c’étaient des « blondasses écervelées » qui avaient voulu se faire des gros seins et que c’était bien fait pour elles.  Or, beaucoup de ces femmes avaient la cinquantaine, elles ont eu des enfants et elles ne retrouvaient plus leur poitrine d’avant,

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Les produits utilisés dans l’implant mammaire (huile de silicone industrielle (un additif pour carburant) et des agents d’enrobage de câbles électriques rongeaient l’enveloppe de silicone des prothèses.

(capture écran journal France2)

avant les allaitements, les grossesses etc…

Elles s’étaient fait un petit cadeau en se disant « Je vais retrouver un corps de femme ». C’est tout. Ce n’était pas pour avoir de gros seins !
Ces femmes-là étaient, au départ, des battantes, et bien, aujourd’hui elles se cachent. Elles ne veulent plus parler, malgré leurs souffrances et tout ce qu’elles ont payé.

Toutes les femmes qui ont eu des cancers du sein et qui sont passées par la reconstruction ont dû se faire à nouveau opérer à cause de ces prothèses, elles avaient déjà assez enduré avec leur traitement.  Les femmes qui se sont faites « reconstruire » et qui ont remis à nouveau des prothèses sont angoissées. Pour certaines, la maladie a récidivé. Elles se demandent : « Est-ce que ne n’est pas à cause de la prothèse ? »

Ce produit n’a pas été testé pour être introduit dans un corps humain, aucun scientifique ne peut nous dire quelles seront les conséquences à long terme sur nos organismes. Et personne ne peut nous rassurer à ce sujet.  »

Où sont les 12 000 femmes porteuses de ces prothèses ?

« On a estimé qu’il y avait, en France,  30 000 femmes potentiellement porteuses de ces prothèses, et aujourd’hui il y en a 18 000 qui se sont fait explanter. Où sont les 12 000 autres ? Est-ce qu’elles n’ont pas été prévenues ? Savent-elles ce qu’elles portent ? Est-ce qu’elles ont tourné la page et elles ne veulent pas savoir ? Où est-ce que leur opération n’a pas été déclarée ? Ou y a-t-il eu erreur sur l’estimation ? On ne sait pas. Aucun registre n’existe pour recenser les porteuses d’implants, nous attendons toujours sa création.

Et dans le monde, on en sait encore moins car,  par exemple en Amérique Latine où la chirurgie esthétique est très répandue, on a du mal à savoir combien de femmes sont concernées. On a donné des chiffres qui vont, dans le monde,  de 300 000 à 500 000. C’est une fourchette énorme ! »

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Le docteur Richard Abs, chirurgien plasticien à Marseille. Il est l’un des premiers médecins à avoir  alerté les pouvoirs publics sur les dangers des prothèses PIP.
(capture écran Cash Investigation-France 2) »Les médias nous ont fait beaucoup de mal »

« Les médias, malheureusement, ont stigmatisé le fait que 80 % des victimes étaient des femmes qui avaient eu recours à  la chirurgie esthétique. Dans le public, c’est ce qui a été retenu. Il y a eu des insultes, des choses innommables sur les forums, sur les commentaires d’articles de presse.

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La devanture de la société PIP à la Seyne-sur-mer
(capture d’écran)

Un vrai combat a été mené contre ces femmes alors que chacun est libre de faire ce qu’il veut de son corps. On n’a pas à juger pourquoi les femmes l’ont fait. C’est leur problème intime.Et elles ont payé pour qu’on leur implante des produits certifiés.

On n’a pas évoqué les VRAIS problèmes, qui est que cette fraude a duré 10 ans, dans un pays comme le nôtre, la France, avec des produits qui étaient fabriqués sur notre territoire, par une entreprise française, par des employés français qui savaient tous qu’ils fraudaient. Cela n’a choqué personne et personne ne s’est posé la question de savoir comment cela avait été possible, ou n’a cherché à démonter tous les rouages qui ont permis que cette fraude ait lieu et qu’elle puisse durer 10 ans. Cela, c’est scandaleux. »

Aucun fond d’indemnisation pour ce scandale

« Aucun ministre n’a jamais reçu une association de défense des victimes. Les avocats, qui demandaient un fond d’indemnisation, n’ont jamais été reçus non plus. C’est le seul scandale sanitaire en France qui n’a pas de fonds d’indemnisation.

Le seul pays où tout s’est très bien passé pour les femmes, c’est la Suisse. Ils avaient, je crois, 280 victimes. Elles ont toutes été prises en charge et opérées rapidement et on en a plus entendu parlé. En Grande Bretagne et en Amérique Latine, les femmes ont été averties deux ans après le scandale ! Et elles ne sont absolument pas prises en charge médicalement par leur système de santé.

Evaluer le préjudice moral, physique, sexuel et professionnel

« Il y a des jours où je me dis « à quoi bon ? » et puis d’autres où je reçois des messages de femmes qui sont dans un tel état de lassitude, de souffrance. Il y a des femmes qui ont tout perdu : leur entreprise, leur conjoint… A plus de cinquante ans, certaines sont retournées avec leurs enfants chez leurs parents. Elles ont perdu leur boîte, leur boulot. Elles n’ont plus rien financièrement parlant, mais aussi socialement et, surtout, plus de santé… Il y a aussi

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Concernant la prise en charge des opérations, l’Assurance maladie s’est finalement engagée à prendre en charge l’ensemble des frais des opérations de retrait des implants PIP préventives et curatives, ainsi que l’éventuel nouvel implant mammaire si la pose initiale avait été prise en charge par l’Assurance Maladie (chirurgie réparatrice). Si la pose initiale n’avait pas été prise en charge par l’Assurance Maladie (chirurgie esthétique), celle-ci s’engage néanmoins à couvrir les frais de retrait préventif ou curatif, mais pas la pose d’un nouvel implant.
(capture écran Cash Investigation France2)

les importateurs de prothèses qui ont été malmenés dans leurs pays parce qu’on a estimé qu’ils étaient responsables d’avoir importer ça. Certains se sentent responsables et ne vivent plus.

J’ai été expertisée dans le cadre du prochain procès qui j’espère aura lieu un jour pour les « blessures involontaires ». On examine le préjudice moral, physique, sexuel, professionnel, financier. On met des chiffres là-dessus. Quelles que soient les sommes qu’on nous alloue, nous ne les aurons pas. On le sait. Parce que les responsables de l’affaire ne sont pas solvables et qu’ils ne pourront pas indemniser 300 000 ou 500 000 femmes dans le monde. De toutes les façons, cela ne nous ramènera jamais la santé.

J’aimerais que les politiques soient un peu plus courageux, que l’on fasse au moins un moratoire sur les prothèses mammaires, que l’on fasse une étude sérieuse comparant toutes les femmes qui ont porté des prothèses PIP, celles qui ont porté d’autres marques et celles qui n’en n’ont pas porté du tout. C’est la seule façon crédible de démontrer les effets des prothèses PIP en particulier et des prothèses en général sur nos organismes. Si on veut s’en donner la peine, on peut le faire… »

Source prothèses mammaires : information.tv5monde.com

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Cyril Renault

C’est très probablement mon père qui m’a transmis cette passion que j’essaierai moi-même de transmettre à mes enfants. Dès que j'ai un peu de temps, je profite de l’occasion pour passer du temps dans la nature. Par ailleurs, je m’intéresse également à tout ce qui touche au bien être et à l'écologie de près ou de loin, je suis fasciné par toutes les méthodes d’investigation, vérifiables et reproductibles ayant pour but de produire des connaissances. J’ai donc décidé de rédiger des articles qui touchent à ces domaines. J’espère pouvoir vous transmettre un peu de mon savoir et de mon amour pour la nature.

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Commentaires

Le jeudi, 2 juin 2016, 7h55 à 7h55, fanny a dit :


oui mais qu'elle idée de se faire implanter ce genre de merde expérimenté dans les labo pour encore se faire du fric et vivre avec ce genre de produit dans son corps pour x raison. on est comme on est avec tout ce qu'on peut traverser comme problèmes dans la vie, il faut s'accepter comme on est et celui à qui on ne plaît pas qu'il se tire....


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